Atelier de mise en situation sur la concertation
Par Sophie Hamel-Dufour
Une activité a été organisée afin de favoriser les échanges et la réflexion sur le processus participatif de la concertation, avec pour contexte des enjeux touchant le Saint-Laurent. Mme Sophie Hamel-Dufour, conseillère en participation et en gestion participative au Service des aires protégées de la Direction du patrimoine écologique et des parcs du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, a assuré la mise en contexte de cette activité.
La mise en situation s’est déroulée avec 4 équipes de 24 personnes où chacune était invitée à jouer un rôle, différent du sien au quotidien, à prendre position et à échanger avec les autres personnages.
Chaque participant était alors amené à prendre connaissance, à partir des documents fournis par les organisateurs, du personnage à incarner ainsi que des éléments clés de la mise en situation dans laquelle les personnages devaient s’impliquer. Chacun a pu, durant quelques minutes, échanger avec les autres participants afin de convenir d’une vision commune du personnage, de la façon de l’incarner et de la manière d’intervenir dans la mise en situation. Chaque équipe a choisi une stratégie et formulé au moins une recommandation ou une exigence ferme ainsi qu’une autre pouvant être négociée. Chaque équipe avait en réserve une stratégie pouvant déstabiliser le cours de l’exercice, à utiliser lorsque sa recommandation ferme était menacée d’être rejetée.
Sujet de la mise en situation :
Le comité organisateur du forum a élaboré un cas fictif de développement nécessitant la mise sur pied d’une table de concertation ad hoc. Le cas en question était libellé comme suit : « Développement d’une île artificielle dans le Saint-Laurent pour des fins de villégiature et de développement domiciliaire, incluant une infrastructure portuaire (embarcadère) et la création d’un habitat constituant une zone naturelle de conservation permettant la réintroduction d’une espèce menacée ou en voie de disparition. L’île est créée à l’aide d’un substrat inerte et non contaminé provenant de résidus miniers d’une exploitation minière avoisinante. »
Rôles :
- Élu (maire) d’une municipalité de taille moyenne. Cet élu accorde une grande importance au développement durable de sa région. Il défendra le projet de développement dans la mesure où les retombées économiques et sociales à court comme à long terme sont garanties et dans l’optique où les impacts environnementaux sont pris en compte et compensés. Il est favorable à la participation des citoyens et incarne le gardien de la démocratie participative.
- Aménagiste issu de la MRC. Celui-ci a une approche plutôt technocratique (by the book). Il est assez jeune et vient d’arriver dans la région où il compte s’établir. Il comprend bien les enjeux globaux, mais n’a pas encore totalement intégré les valeurs régionales.
- Industrielle et promotrice du projet de développement. Cette représentante de la chambre de commerce régionale est intéressée par le profit à court terme, mais n’est pas dénuée d’une vision à long terme (développement durable).
- Entrepreneur associé au tourisme d’aventure. Passionné de plein air, il s’inquiète des retombées du projet sur la jeune entreprise qu’il a lancée récemment. Ancien militant écologiste, il prend cependant une certaine distance par rapport aux approches trop dogmatiques ou trop axées sur la conservation.
- Citoyenne et résidente d'un certain âge. Celle-ci, qui a "pignon sur fleuve", est soucieuse des impacts d'un tel projet sur l’environnement (ornithologue amateur), notamment ceux à long terme (grand-mère de plusieurs petits-enfants). Elle vit cependant un conflit intérieur, car certains de ses enfants pourraient bénéficier directement du développement de la région grâce au projet.
- Citoyen et pêcheur professionnel retraité qui pratique encore la pêche et le nautisme comme loisirs. Il est soucieux des impacts du projet sur l’habitat du poisson, sur ses activités de loisir et sur l’industrie de la pêche.
- Chercheuse experte en biologie marine. Celle-ci tend à apporter au projet des arguments axés sur la rationalité. Elle s’inquiète de certaines retombées potentielles du projet, mais ne s’y oppose pas et recherche plutôt le compromis scientifiquement et biologiquement valable.
- Représentant autochtone, avocat de formation et spécialiste des questions territoriales. Celui-ci est interpellé par le projet tant pour ses aspects liés au respect des droits ancestraux et au maintien de la qualité du milieu que pour ses retombées socioéconomiques potentielles pour la communauté qu’il représente.
Dans le but de présenter l’activité, Mme Sophie Hamel-Dufour a offert aux participants quelques éléments de réflexion et de mise en contexte :
Au quotidien, il nous arrive tous de nous retrouver dans des situations où nous devons user de compromis pour faire des choix : la réunion entre collègues, la planification du budget ou la stratégie de communication à privilégier. Et que ce soit à petite ou à grande échelle, il nous arrive souvent de devoir nous concerter. C’est un peu le sens commun que l’on donne à la concertation.
Mais la concertation telle qu’elle est entendue dans le PASL, soit « des mécanismes permettant aux parties de s’entendre afin d’agir de concert », fait appel à l’idée de participation publique. La participation publique peut se résumer comme l’ouverture des processus décisionnels à d’autres acteurs que ceux qui travaillent habituellement à la prise de décision, comme les élus et les experts de l’administration publique.
La participation, c’est redéfinir les rapports entre l’État, le secteur privé, les organisations non gouvernementales, les autochtones et les groupes de citoyens. À titre d’exemple, au Québec, lorsqu’on parle de participation publique, on pense spontanément au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). C’est cette idée de discuter collectivement de la pertinence d’un projet et des enjeux liés à sa réalisation, à sa vie utile et à la façon de s’en défaire une fois cette vie utile terminée. En décloisonnant les processus décisionnels, la participation publique invite à un changement de culture dans les façons de faire des organisations, publiques ou privées. Même si cette transformation s’est amorcée au tournant des années 1970, elle est toujours en cours. Il s’agit encore de passer du discours participatif à l’action participative. En proposant des tables régionales de concertation, le PASL fait un pas de plus vers des pratiques participatives.
Qu’est-ce qui distingue la concertation des autres modes de participation publique ?
Une façon imagée de parler de la participation est celle de l’échelle à laquelle il y a plusieurs barreaux. Pour les besoins de la journée, Mme Hamel-Dufour a essentiellement présenté trois « barreaux », soit l’information, la consultation et la concertation, inspirés des travaux de Jean-Eudes Beuret (La conduite de la concertation. Pour la gestion de l’environnement et le partage des ressources. L’Harmattan. 342 p.)
Mme Hamel-Dufour a proposé de commencer par ce qui est à côté de l’échelle et qui n’est pas considéré comme une pratique de participation publique, en parlant notamment de la communication. Celle-ci revient à faire passer un message en vue d’obtenir l’adhésion du public. Elle peut être partisane et s’apparenter à une opération de marketing. Parce qu’elle peut être plus orientée, elle cadre moins avec l’esprit de la participation, qui se veut un échange, même minimal, basé sur la confiance et sur la transparence. La communication demeure néanmoins essentielle pour faire connaître les démarches de participation publique.
L’information
Pour avoir un échange minimal, une base de confiance et de transparence, l’assise de toute démarche participative est l’accès à l’information, par exemple une journée portes ouvertes, une visite sur le terrain ou une soirée d’information.
Quoi: Il s’agit de permettre au public de réagir et de se forger une opinion sur un projet. Pour ce faire, le public doit avoir accès à la documentation et aux renseignements essentiels à la bonne compréhension du projet présenté (description, carte, ententes, résolutions des conseils municipaux). On ne vise pas simplement à récolter des réactions particulières de la part des participants, mais aussi à répondre aux questions et à fournir de l’information.
Quand: Le plus en amont possible ; cette activité est ponctuelle : elle intervient à un moment précis, mais peut être répétée au besoin.
Qui: Le plus large public possible concerné par le projet.
La consultation
Le deuxième barreau de l’échelle participative est la consultation. Avec la consultation, on quitte le mode unidirectionnel de l’information pour s’installer davantage dans une interaction. C’est ici que les audiences publiques du BAPE se situent. Il en va de même des commissions de l’Office de consultation publique de Montréal ou encore des consultations prévues par la Loi sur l’aménagement du territoire. On peut aussi y inclure la formule en atelier ou par l’intermédiaire du Web.
Quoi: La consultation permet de recueillir des propositions de bonification, de suggérer des améliorations ou de s’opposer au projet. Elle n’offre pas de garantie que dans les décisions, les avis et les opinions exprimés seront pris en compte. Règle générale, l’objet de la consultation est déterminé par celui qui consulte et non pas par ceux qui signifient leur besoin d’être consultés.
Quand: Le plus en amont possible afin de pouvoir prendre en compte les propositions.
Qui: Selon la formule retenue, une consultation grand public ou une consultation sur invitation sera choisie. Une attention particulière devrait être portée aux opposants.
La concertation
Le troisième barreau de l’échelle est la concertation. Si la consultation repose sur l’interaction, la concertation, elle, mise sur le « faire ensemble ». Pour illustrer son propos au sujet de l’esprit du changement dans les façons de faire de la concertation, Mme Hamel-Dufour a repris la formule suivante tirée du site Web de la CRÉ du Saguenay–Lac-Saint-Jean : « Seul, on va plus vite, en concertation on va plus loin. »
Quoi: Il s’agit d’élaborer conjointement des visions, une planification et des projets, de définir ensemble la nature et la portée des enjeux et des pistes de solution ainsi que les règles de fonctionnement de la concertation, puis d’harmoniser les intérêts.
Quand: Cette démarche s’échelonne dans le temps.
Qui: Les personnes les plus susceptibles d’être concernées ou intéressées par le projet. Une attention particulière devrait portée aux opposants.
Si l’information en tant que premier barreau de l’échelle de la participation est présente dans la consultation et dans la concertation, l’information toute seule ne suffit pas pour faire de la consultation et de la concertation.
Mme Hamel-Dufour a conclu en mentionnant que dans la réalité, les démarches de participation du public hybrident souvent les concepts pour répondre aux contextes, chaque fois uniques, dans lesquels on se trouve.