Panel sur la gestion intégrée du Saint-Laurent
Le Forum Saint-Laurent se voulant un lieu de discussion et d’échange sur les enjeux liés au fleuve Saint-Laurent, un panel d’intervenants a été organisé, regroupant des représentants des secteurs communautaire, municipal, industriel, universitaire et gouvernemental. La discussion s’est amorcée à partir de trois questions auxquelles chaque intervenant a répondu dans une brève présentation. Ces questions étaient : « Quelle est la vision à long terme du Saint-Laurent pour votre secteur ? Quelle est la perception du rôle de la gestion intégrée à l’intérieur de votre secteur ? Quelle est la contribution des acteurs de votre secteur dans la gestion intégrée du Saint-Laurent ? » Par la suite, un court débat, animé par Mme Hélène Raymond et orienté par les questions de l’auditoire, a permis aux panélistes de préciser leur vision de la gestion intégrée.
Chantal Rouleau est mairesse de l'arrondissement Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles de la ville de Motréal. Activement engagée dans la communauté et au sein du conseil d’administration d’organismes, Mme Rouleau s'intéresse aux questions d’environnement et d’aménagement du territoire, particulièrement dans l’est de Montréal. Elle travaille depuis sept ans dans le domaine de l’eau et de la mise en valeur des berges montréalaises et des accès au fleuve pour la population. De 2002 à 2008, elle a dirigé le Comité ZIP (zone d’intervention prioritaire) Jacques-Cartier dans l’est de Montréal. Elle a également été vice-présidente de Stratégies Saint-Laurent et elle a participé aux efforts de mise en oeuvre de la gestion intégrée du Saint-Laurent (GISL). Depuis 2010, Chantal Rouleau est vice-présidente de la Commission permanente sur l’eau, l’environnement, le développement durable et les grands parcs de la Ville de Montréal.
Durant sa présentation, Mme Rouleau s'est projetée en 2026. Elle y voyait un fleuve propre, propice à la baignade partout au Québec, y compris dans la grande région métropolitaine de Montréal. Ce fleuve serait un espace civil partagé équitablement, synonyme d’accessibilité, sur lequel on trouverait des usages diversifiés et où la Route bleue deviendrait un des terrains de jeux préférés des Québécois. Ce grand fleuve demeurerait aussi un moteur économique qui contribuerait au développement des villes riveraines.
Selon Mme Rouleau, la perception du secteur municipal en matière de gestion intégrée correspond à l’adoption d’une approche axée sur le savoir-faire de différents secteurs tels que : l’éducation et la recherche, qui contribuent à dresser et à suivre l’état de santé du Saint-Laurent, à cibler les risques et à élaborer des solutions ; les organismes non gouvernementaux, qui, par leur connaissance du terrain, la coordination d’actions concrètes, la concertation avec les différents acteurs et leurs efforts de sensibilisation, contribuent activement à l’amélioration de l’état du Saint-Laurent ; et les gens d’affaires, y compris les grandes industries, qui participent également au développement, par la création de richesses, par l’établissement de relations harmonieuses et par la mise en valeur des ressources, ainsi qu’à l’offre de services tels que le récréotourisme et le transport de passagers et de marchandises.
Le monde municipal a aussi sa place dans la GISL, selon Mme Rouleau. Sa contribution consiste à établir et à respecter des normes de rejets ainsi qu’à appliquer des règlements qui limitent l’effet néfaste des villes sur le fleuve. Cette contribution se manifeste en outre par l’entretien adéquat des infrastructures, par exemple l’élimination des raccordements croisés ou des fosses septiques non conformes, et, à titre de gestionnaire du territoire, par la mise sur pied de plans directeurs d’aménagement pour favoriser, entre autres, un développement des berges axé sur l’accessibilité et l’utilisation optimale et écoresponsable.
Mme Rouleau conclut sur ces mots qui démontrent clairement l’intérêt qu’elle porte à l’amélioration de l’état de santé du fleuve : « Je me suis lancée en politique avec l’intention de contribuer à restaurer et [à] protéger le fleuve Saint-Laurent et ainsi le rendre plus accessible aux Montréalais. »
Nicole Trépanier est présidente de la Société de développement économique du Saint-Laurent (SODES) depuis 2009. De 1998 à 2009, elle a été directrice générale des Armateurs du Saint-Laurent. Parallèlement à cette tâche, elle a été coprésidente patronale du Comité sectoriel de main-d’oeuvre de l’industrie maritime (CSMOIM) de sa création en 2001 jusqu’à 2008. Mme Trépanier a par ailleurs joué un rôle clé dans la mise sur pied de la Table sur le transport maritime courte distance, de la Table sectorielle de l’industrie maritime (devenue le CSMOIM) ainsi que de la Journée maritime québécoise.
Le mandat de la SODES est de rassembler autour d’un forum d’échange, de concertation et d’action des intervenants dont les activités ont une incidence sur l’économie du Saint-Laurent, que ce soit en matière de transport de marchandises ou de passagers, de développement régional ou d’environnement. Sa mission consiste à protéger et à promouvoir les intérêts économiques de la communauté maritime du Saint-Laurent dans une optique de développement durable.
Les membres de la SODES sont des transporteurs maritimes nationaux et internationaux, des ports et des terminaux, des municipalités, des expéditeurs, des organisations liées au développement régional, des organismes de promotion économique, etc.
Selon Mme Trépanier, la gestion intégrée est productrice de savoir, elle favorise la concertation et, par le fait même, la conciliation. Elle est porteuse d’améliorations multiples et peut être mise en application dans tous les secteurs.
La contribution de l’industrie maritime à la gestion intégrée se fait particulièrement, d’après Mme Trépanier, par l'intermédiaire d’un programme environnemental volontaire d’amélioration continue auquel participent des ports, des terminaux et les armateurs du Saint-Laurent et des Grands Lacs. Ce programme, appelé l’Alliance verte, s’étend aujourd’hui à l’échelle nord-américaine. Depuis sa création, il y a cinq ans, l’Alliance verte a connu une augmentation de 95 % de ses membres. À présent, elle est composée de 64 participants, de 47 partenaires et de 40 supporteurs. Ce programme est constitué de neuf enjeux prioritaires. Il est inclusif et réunit les gouvernements, des groupes environnementaux et l’industrie. Une évaluation de la performance des participants est réalisée annuellement, et les résultats sont rendus publics.
Cependant, Mme Trépanier conclut en mentionnant qu'il manque un outil important susceptible de rendre plus cohérent et conséquent le développement durable et intégré du Québec, notamment à l’échelle du Saint-Laurent : la mise sur pied d’une stratégie globale et durable des transports. « Quand verrons-nous l’établissement d’une telle stratégie au Québec ? », se demande-t-elle.
Steve Plante détient un doctorat en géographie de l'Université de Montréal et une maîtrise en anthropologie maritime de l’Université Laval. Il est professeur titulaire en sciences sociales du développement (1e cycle) et en développement régional (2e et 3e cycles) au Département sociétés, territoires et développement de l'Université du Québec à Rimouski depuis le 1er juin 2002. Il enseigne en développement social, régional et territorial. Depuis son entrée en poste, il se spécialise dans les domaines de la gestion intégrée de la zone côtière, de la résilience et de l’adaptation aux effets des changements climatiques et environnementaux. Il approfondit les questions de gouvernance participative et d’engagement des communautés dans une perspective de recherche-action contributive et de suivi des actions. Il est le directeur scientifique de l’Alliance de recherche universités-communautés – Défis des communautés côtières de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent à l’heure des changements climatiques (ARUC-DCC).
Pour débuter, M. Steve Plante présente l’ARUC-DCC, dont le but est de renforcer les capacités de résilience et de gouvernance des communautés vivant dans les zones côtières et insulaires de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. Il compte sur une équipe de 11 partenaires sur le terrain et de 22 chercheurs universitaires. Selon lui, l’ARUC-DCC permet de regrouper des expertises basées sur le développement des habiletés en matière de coconstruction et de coproduction, d’apprentissage social de tous les acteurs (société civile, secteur économique et secteur public) ainsi que de planification et de résolution de conflits collectifs. D’ailleurs, il voit la contribution des acteurs locaux comme un élément clé de solution dans les processus de GISL.
M. Plante considère la gestion intégrée comme un processus de gouvernance territoriale parce qu’elle permet une meilleure prise en compte des perceptions des acteurs de toutes les échelles d’action. Il souligne que la gestion intégrée doit être ancrée dans le milieu (territoire) et portée par les acteurs de toutes les échelles par la concertation. Il la voit ainsi comme un espace de conception de l’action qui est à la fois un espace de confrontation entre les acteurs locaux.
M. Plante souligne par ailleurs que la GISL, considérée comme un espace de production de savoirs partagés, doit contenir certains ingrédients tels que le maintien et le renforcement des liens entre les acteurs concernés, l’élaboration commune des règles du jeu qui permettront de faire une gestion adaptative, la définition collective des objectifs, une réelle écoute des communautés, une ouverture à l’expression des opinions divergentes allant jusqu’à garantir la place de la controverse dans le processus et, enfin, la possibilité de débattre du diagnostic avant d’en arriver aux solutions.
En terminant sa présentation, M. Plante rappelle qu’un processus de gestion intégrée doit reposer sur la souplesse de ses dispositifs de mise en oeuvre, notamment le temps et les moyens nécessaires pour en assurer le développement et le suivi en continu.
Claudette Villeneuve a participé à la création de Stratégies Saint-Laurent, le regroupement des comités ZIP (zone d'intervention prioritaire), un organisme dans lequel elle s’implique en continu depuis 2005 et dont elle est la présidente depuis 2008. En 1979, elle a fondé la Corporation de protection de l’environnement de Sept-Îles, un des premiers organismes à vocation environnementale à voir le jour sur la Côte-Nord. En 1992, Mme Villeneuve a fondé le Conseil régional de l'environnement de la Côte-Nord et en 1999, elle a récidivé en fondant le Comité ZIP Côte-Nord du Golfe. Claudette Villeneuve a également été présidente ou administratrice de 1987 à 1992 du Regroupement québécois des groupes écologistes et du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ), dont elle est l’un des membres fondateurs.
Selon Mme Claudette Villeneuve, il faut considérer avant tout les expertises en place dans le processus de mise en oeuvre de la GISL. Ainsi, Stratégies Saint-Laurent et les comités ZIP, qui travaillent depuis 20 ans à la concertation et à la conduite d’actions pour la conservation, la restauration et la mise en valeur du Saint-Laurent, doivent être des composantes importantes de la GISL. Stratégies Saint-Laurent et ses membres, qui ont d’ailleurs été reconnus officiellement comme des collaborateurs du Plan Saint-Laurent lors de la phase II (1993-1998) et dont les principes d’action reposent sur la concertation et le partenariat, comptent plus de 1 000 projets réalisés ou en cours. Ceux-ci ont généré plus de 20 millions de dollars en retombées. Ces projets ont grandement contribué à l’amélioration de l’état de santé du fleuve.
Le Saint-Laurent fait partie du patrimoine national québécois et comme tel, il a besoin d’une réappropriation citoyenne pour le protéger. Le nouveau Plan d’action Saint-Laurent (PASL) constitue un élément motivateur porté par les gouvernements provincial et fédéral qui peut servir cette réappropriation, notamment par la mise en oeuvre de la GISL. À l’échelle régionale, les comités ZIP sont d’importants contributeurs au changement et donc à l’amélioration du fleuve. Ils ont notamment grandement favorisé la participation et la conscientisation des industriels et des élus. À long terme, le succès du PASL repose sur l’engagement et la concertation locale et régionale, c’est pourquoi il est important de mobiliser les intervenants régionaux et locaux autour de la GISL.
La GISL peut contribuer à garantir le bien-être des collectivités et le développement durable du fleuve pour autant qu’elle favorise un engagement de tous les acteurs dans des activités de protection et de conservation, d’assainissement, de mise en valeur des usages actuels et à venir ainsi que dans le développement de nouvelles perspectives socioéconomiques. Une GISL bien appliquée est basée sur la participation active et conjointe des décideurs et des usagers de la société civile à la prise de décision et se traduit par des influences mutuelles, par des actions plus cohérentes et intégrées et par un sentiment de responsabilité collective qui mènera à une gouvernance plus éclairée passant par le respect de la capacité de support de l’écosystème.
Les comités ZIP, formés de représentants de la société civile qui s’impliquent, depuis plus de 15 ans, dans des projets pour la grande mission de restauration écologique du fleuve, sont reconnus dans leurs milieux et sont au coeur non seulement de projets d’amélioration environnementale, mais également de projets de développement et de mise en valeur. Ils seront engagés notamment dans la production et le suivi des Plans de gestion intégrée régionaux (PGIR) et pourraient se voir confier, régionalement, davantage de responsabilités, car ils sont outillés pour réaliser les mandats associés à la GISL.
Période de questions suivant le panel
Hélène Raymond : « Est-ce que la réappropriation du fleuve est majeure pour l’avenir ? »
Chantal Rouleau: « Oui, à Montréal, il y a une prise de conscience des Montréalais pour sa réappropriation qui passe notamment par l’accès au fleuve. L’aménagement du territoire est crucial. C’est une responsabilité des gouvernements, dont la Ville de Montréal. Des consultations sont tenues à Montréal dans l’optique du 375 anniversaire de la ville pour faire de l’eau l’élément primordial de cet événement. Il y a une volonté politique. »
Steve Plante: « Oui, il y a un projet-pilote, notamment avec le comité ZIP du Sud-de-l’Estuaire, pour intégrer les préoccupations des bassins versants et des zones côtières, mais c’est très localisé. Il s’agit de portions de lacs, de rivières ou de plages en avant de chez eux, dans leur secteur, mais pas de façon globale. Lorsque la GISL aura été mise en place, il faudra qu’il y ait une appropriation des enjeux locaux. »
Claudette Villeneuve: « À l’échelle de la Côte-Nord, il y a une appropriation via les projets ZIP notamment (marinas, nettoyage de rives, etc.). Mais à l’échelle du Saint-Laurent, il y a encore du chemin à parcourir, notamment en eau douce. »
Pierre Latraverse (Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs): Pour l'appropriation, il faut faire attention. On se fait, de plus en plus, chasser du fleuve. À cause du développement outrancier, il y a de moins en moins de marinas. Les petits accès à l’eau disparaissent au profit de grosses infrastructures et au profit de la privatisation. Les gens achètent de grandes propriétés, mais aussi la vue, le fleuve devant chez eux. Il faut respecter les populations locales. Les gens qui habitent le long du fleuve ne possèdent pas seulement le terrain. Il y a une nuance à faire : certains s’approprient de façon personnelle le fleuve, et non de façon collective. »
Chantal Rouleau: « Il y a effectivement des problèmes d’appropriation [au] regard de la privatisation/[accaparement] du terrain, du territoire. »
Nicole Trépanier: « Il y a une différence entre l’accès collectif et la propriété riveraine. Il y a un besoin d’aménagement collectif, mais il ne faut pas prétendre que les propriétaires riverains [ont] plus de droits que les autres sur le Saint-Laurent. »
Steve Plante: « On gère les usages et non la ressource. En tenant compte des aspects sociaux, on va aider l’appropriation collective. Il faut voir ça comme une occupation du territoire. »
Luce Balthazar (RNCREQ): « Le monde municipal a un double rôle à jouer : l’application de certains règlements et la contribution à la gestion intégrée. Il n’est pas un utilisateur comme les autres, et cela peut amener des conflits dans le cadre de la GISL. »
Chantal Rouleau: « Le rôle des municipalités consiste dans l’aménagement du territoire et en même temps dans la réglementation. C’est un rôle d’aménagement des accès, de gestion, de traitement des ressources en eau. Mais il n’y a pas nécessairement de conflit avec l’application des règlements. Cela dépend de la façon dont on fait les choses, ça va même ensemble. L’autorégulation est une obligation. »
Marc Hudon (Nature Québec): « Je rappelle que le Comité ZIP Saguenay existe depuis 20 ans. Un élément important de la GISL réside dans la présence des différents gouvernements et des ONG [organisations non gouvernementales] autour de la table malgré l’incertitude et les coupures. Tout ce qu’a dit Nicole Trépanier est vrai. Le rôle des différents paliers gouvernementaux est indispensable dans la démarche de concertation. La rencontre de la CMI [Commission mixte internationale] est un beau test pour le forum. Les 15, 16 et 17 mai prochains, il y aura des tables où la CMI et les acteurs auront l’opportunité de prendre la parole. Il faut absolument que les intervenants présents ici y soient. Il faut se doter d’outils favorisant les débits/[la] gestion durable à long terme. »
Philippe Morel (Environnement Canada): « Si la concertation et la consultation ont évolué au cours des années, bien qu’elles soient plus complexes, c’est parce que c’est la bonne chose à faire pour prendre de meilleures décisions. C’est pourquoi on va vers la GISL avec les TCR [tables de concertation régionales] ; il faut arrimer les comités ZIP avec la GISL pour le plus de cohérence possible. Le plan de régularisation, c’est effectivement un défi important. Il faut un nouveau plan plus proche des écoulements naturels. Il faut effectivement participer. La CMI a, je crois, appris des consultations passées. »
Charles Larochelle (Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs): « La CMI constitue un dossier éminemment complexe pour concilier les intérêts et les usages. L’Assemblée nationale s’est opposée au dépôt antérieur [d’un nouveau plan de régularisation], mais via la consultation publique et la concertation à venir, le gouvernement du Québec aura à se positionner. La gestion des apports d’eau, dans un système aussi vaste, doit s’inscrire dans une approche adaptative liée aux changements climatiques en tenant compte des effets sur la sécurité, l’économie et la dimension sociale. »