D'un Saint-Laurent utilitaire à un Saint-Laurent pour tous
Par Serge Villeneuve
Serge Villeneuve, conseiller à l’intégration scientifique pour la Division de l’intégration stratégique et des partenariats à Environnement Canada, a offert en ouverture de journée une présentation éloquente sur le Saint-Laurent, tant sur son histoireque sur son état. L’objectif de cette conférence était de proposer aux participants une mise à jour de leurs connaissances sur l’écosystème du Saint-Laurent afin d’alimenter les autres activités de la journée.
On ne parle pas du Saint-Laurent sans utiliser des superlatifs. C’est un bassin très particulier : les Grands Lacs constituent sa source et son débit initial est supérieur à 6 500 m3/seconde. Un débit qui n’est même pas atteint par plusieurs fleuves sur la planète.
Le Saint-Laurent et ses affluents
Au niveau de la ville de Québec, les affluents du Saint-Laurent doublent le débit du fleuve, qui atteint 12 800 m3/seconde, et c’est sans compter le Saguenay et les affluents de la Côte-Nord, qui ajoutent quelques milliers de mètres cubes par seconde plus en aval. On désigne d’ailleurs certains de ces affluents par le masculin : le Saguenay, le Saint-Maurice, le Richelieu… Les considère-t-on comme des fleuves ? Il est en outre possible de naviguer très loin en amont du fleuve, mais depuis 50 ans, la route maritime se rend jusqu’au lac Supérieur. Ce sont toutes ces caractéristiques qui font du Saint-Laurent un fleuve unique.
Les pressions historiques
Du fait de son immensité, le Saint-Laurent n’a pas suscité de préoccupations jusqu’à récemment quant aux modes d’exploitation. Nous avons longtemps pensé qu’il s’agissait d’une ressource intarissable. Le Saint-Laurent est à la fois une voie de transport et un lieu de travail. Au cours des siècles, nous n’avons eu de cesse de l’exploiter, ce qui a engendré une forte diminution des populations fauniques qui le côtoient. Certaines de ces espèces ont disparu, comme certains usages. Le développement économique le long du Saint-Laurent allait de pair avec le développement de l’hydroélectricité, et donc avec la construction de barrages hydroélectriques. Cela a engendré le détournement de son lit sur 21 km (86 % de son débit), et par conséquent le déplacement de milliers de riverains ainsi que la modification, voire la disparition, d’autant d’habitats fauniques. Les travaux d’aménagement de la voie maritime ont dépassé, en envergure, ceux du canal de Panamá. Un nouveau lac a été créé (le lac Saint-Laurent). Les seuls rapides qui subsistent sur le Saint-Laurent sont ceux de Lachine.
Les empiétements se sont aussi succédé aux fins de transport et d’expansion industrielle, résidentielle ou agricole. On a déposé dans le fleuve des déblais de dragage, du tout-venant, des rebuts de construction et même des ordures. Cependant, les barrages ont aussi visé la protection des populations riveraines contre les risques d’inondation.
La prise de conscience par rapport à la protection du Saint-Laurent date des années 1970, et nos actions de préservation ont succédé aux initiatives de protection qui existaient dans les Grands Lacs. Le tout-à-l’égout, pour les secteurs municipal et industriel, était la norme jusqu’à la mise en oeuvre du Programme d’assainissement des eaux du Québec en 1978.
En 1995, 20 % des municipalités ne traitaient toujours pas leurs eaux usées. Quant à l’épuration des eaux usées des secteurs agricole et industriel, il a fallu attendre les années 1990 et la mise sur pied du premier Plan d’action Saint-Laurent.
Peut-on être majestueux sans être résilient ?
Malgré les pressions passées, le Saint-Laurent maintient une intégrité écologique que d’autres grands fleuves ont perdue. Depuis plusieurs décennies, il vit une dualité : on l’apprécie pour sa beauté et ses richesses et l’on a à coeur la conservation de ses habitats et de ses ressources, mais on n’a plus le même engouement pour les activités de contact direct. Les pressions actuelles sont liées aux rejets de toxiques, aux nouveaux composés de toutes sortes, aux éléments nutritifs (azote et phosphore), à la fragmentation et à la perte d’habitats, à la régularisation des niveaux d’eau, aux espèces exotiques envahissantes, aux espèces menacées, à l’érosion des berges, aux conflits d’usages, aux changements climatiques et à l’exploration et l’exploitation pétrolières et gazières. Certaines pressions nous accompagnent depuis un certain temps, d’autres se sont accentuées depuis quelques années, et l’on doit aussi anticiper celles que causeront les changements climatiques.
Le programme Suivi de l’état du Saint-Laurent, lancé en 2003, regroupe un certain nombre d’indicateurs réunis dans les composantes « eau », « sédiments », « rives », « ressources biologiques » et « usages ». Le portrait d’ensemble montre qu’en dépit de nombreuses menaces, le fleuve maintient ses fonctions écologiques essentielles et abrite des populations en santé. Les études en cours pourraient amener des indicateurs additionnels pour s’assurer d’un diagnostic encore plus complet. Il y a eu des avancées dans nos actions de conservation du Saint-Laurent et de réappropriation des usages. Une des grandes réussites est la participation des collectivités ; il n’y a jamais eu autant d’acteurs engagés dans la préservation du Saint-Laurent. Les comités ZIP (zone d’intervention prioritaire), les organismes de bassins versants (OBV), les municipalités, les industries, un syndicat agricole, la concertation des différentes industries dans le port de Montréal… Les acteurs de la navigation se sont aussi entendus pour adopter des stratégies de développement durable. Ce sont de belles réussites de conservation.
Du côté des usages, sur la Route bleue, des circuits de kayak s’organisent, on fréquente certaines plages et d’autres devraient être accessibles sous peu. Le bar rayé se reproduit, de nouveau, naturellement dans le Saint-Laurent. Et les pêcheurs reviennent peu à peu vers le Saint-Laurent.
Est-ce que le contexte géopolitique rend la gestion du Saint-Laurent plus compliquée ?
On parle de deux pays, de huit États et de deux provinces. Nous ne possédons toujours pas d’agence unique pour la gestion des bassins du Saint-Laurent, mais uniquement des agences sectorielles. Les Grands Lacs sont peut-être un peu plus structurés, mais sans aucune agence unique. Une gestion intégrée du Saint-Laurent (GISL) devrait couvrir l’ensemble du territoire et réunir les acteurs représentatifs de la société.